vendredi 30 avril 2010

Jeu en ligne : la Belgique, comme la France ?



Nous le savons depuis quelques mois, et l’actualité française nous le rappelle tous les jours, notre quotidien de joueurs online risque de bientôt changer. Aux rumeurs initiales ont succédé des décisions, matérialisées par l’adoption d’une loi (ou plutôt la révision d’une loi plus ancienne), le 10 janvier 2010. Celle-ci prévoit, notamment, la nécessité, pour un opérateur de jeux de hasard (en ce compris les paris sportifs), d’être en possession d’une licence ‘physique’ avant de pouvoir opérer en ligne, sur le territoire belge. Certes, cette loi et ses applications semblent aller à l’encontre du droit communautaire, et pourraient être contestées par la Commission Européenne, mais à ce jour, personne ne semble vouloir effectuer les démarches nécessaires.


Si les principes de libre-prestation des services et de non-discrimination seraient bafoués par l’application de cette loi, qu’en serait-il des joueurs ? Au vu du peu d’informations précises disponibles, il me semblait important d’investiguer, afin que tout le monde sache à quoi s’attendre, et puisse se préparer au mieux. Cet article et cette interview ont donc été réalisés pour le site www.belgiumpoker.net


Passage obligé, la commission des jeux de hasard. Créée en l’an 2000, celle-ci tient plusieurs rôles : la gestion des licences, le contrôle des jeux, la rédaction d’avis à destination du législateur et la protection des joueurs.
C’est justement en insistant sur ce point que m’accueillent Etienne Marique, le président de la Commission des Jeux de Hasard et Christophe Widar, expert de la cellule de contrôle et officier de police judiciaire. Ils me font ‘cadeau’ d’un kit pédagogique de prévention destiné aux écoles. A l’intérieur, un jeu démontrant « combien le hasard occupe une place fondamentale et détermine l’issue du jeu », un folder d’explication, un jeu de cartes Cartamundi (elle est bien bonne celle-là…), et surtout, un DVD contenant la base même de leur campagne de prévention, un long-métrage intitulé ‘Bluff’ qui met en scène des jeunes cédant au démon du jeu et à l’addiction (ce film est visible sur www.bluffonline.com).
Bien évidemment, la prévention, surtout en direction des jeunes, est importante. Mais le ton est donné… « Philosophiquement, la loi et la commission des jeux ne sont pas liberticides, on ne veut pas tuer la liberté des gens, mais on a constaté que le jeu fait perdre le libre arbitre à beaucoup de joueurs », me dit Etienne Marique.


L’entretien est très cordial, et va durer plus d’une heure et demi, mais, vous allez le constater, les préjugés, méconnaissances, et amalgames sont nombreux, comme l’on pouvait s’y attendre. Plus inquiétant, le flou entourant nombre de réponses à mes questions. Plongée dans le système de pensée de la Commission des Jeux de Hasard.

BelgiumPoker : Tout d’abord, en quoi consiste exactement la loi du 10 janvier 2010.

Etienne Marique : Sachez avant tout que cette loi du 10 janvier va être réglée par toute une série d’arrêtés royaux. Elle se trouve actuellement sur le bureau d’Yves Leterme, mais il est occupé pour le moment avec le dossier BHV (ndlr : l’entretien s’est bien évidemment déroulé avant la crise politique actuelle et la démission du gouvernement Leterme). Je ne sais pas s’il va s’en occuper, mais c’est sur la table. Il faut donc maintenant que le feu vert soit donné, que le conseil d’état donne son avis et que des notifications soient faites à l’Europe. Cette loi interviendra au niveau des paris, des jeux télé, radio et jeux médias en général, de tous les jeux faisant appel au hasard (et pour lequel il n’y a pas nécessairement d’assuétude), de la loterie (qui est considérée comme un jeu de hasard, mais pour laquelle il n’y a pas de régulation pour le moment).

BP : Actuellement, qu’est ce qui est permis en terme de poker, en Belgique ?

Christophe Widar : En ligne, c’est interdit. La publicité pour les sites aussi. Nous dressons systématiquement des PV et des notices à charges des sites, connus et moins connus. Le problème, c’est que les serveurs sont basés à l’extérieur de la Belgique, c’est donc difficile. De plus, la priorité n’est pas là, il n’y a pas de politique à proprement parler à l’encontre de ces grandes sociétés, telles que Bwin, Unibet et autres, ce que l’on regrette d’ailleurs, parce que l’actualité montre qu’il n’y a aucune sureté quant à la façon dont c’est géré, dont les jeux sont effectués. Il y a eu, par exemple, ce fameux scandale où les cadres étaient au courant des cartes qui étaient donnés. Vous ne savez jamais comment ça se passe. Nous avons de temps en temps des plaintes de joueurs qui disent qu’ils ne sont pas payés, ou pas au prorata de ce qu’ils auraient du gagner.
Mais ici, nous rencontrons un problème qui nous dépasse, et qui se situe plus au niveau de la politique des parquets, même si nous les tenons au courant et que nous effectuons certaines procédures.

Etienne Marique : En ce qui concerne le poker en ligne, nous ne sommes pas convaincus que les jeux soient sincères. Nous avons plusieurs éléments qui nous permettent de dire que l’on joue avec certains joueurs qui, sur papier, sont des joueurs qui n’existent pas, qui sont des joueurs machines. L’opérateur ne reste pas toujours neutre, on voit, dans certaines parties, qu’il y a des joueurs qui sont informés, qu’il y a des informateurs. Nous ne pouvons pas supporter que le jeu soit biaisé, et donc, notre objectif est que ce jeu-là ne soit pas accepté.

BP : Mais là, vous visez certains opérateurs, pas tous ?

Etienne Marique : Oui, je n’ai pas dit ‘tous les opérateurs’, mais il y a certains opérateurs qui le font ! Nous les avons pris la main dans le sac. Nous l’avons même carrément filmé, nous avons une cassette. Donc, là, on peut dire haut et fort : le jeu n’est pas sincère, il n’est pas transparent. Internet, c’est le lieu où il peut y avoir du blanchiment d’argent alors que pour les casinos, des tas de mesures sont imposées. Ce n’est pas équitable. Le blanchiment se fait évidemment à l’endroit où il n’y a pas de contrôles.

BP : Comment le poker est-il vu et considéré par la Commission ?

Christophe Widar : En live, il existe, comme nous l’avons vu au Salon du Poker de Gembloux, une multitude d’ASBL qui veulent développer le poker. Je pense que le poker est très bien considéré et vu par la Commission, autant que d’autres jeux, en tous cas. Je me rappelle, par exemple, de la situation lors du premier championnat de Belgique, organisé par les casinos de Namur et de Spa. Monsieur Choffray nous avait téléphoné en nous demandant d’étendre les conditions de jeux accordées initialement par la Commission, et nous avions été à l’écoute, et avions réagi de façon très intelligente, en accordant des dates de qualification supplémentaires.
Pourquoi sommes-nous à l’écoute des casinos ? Parce que la loi prévoit que le jeu peut s’y dérouler et également car ils offrent des garanties de sécurité et de contrôle, comme l’interdiction d’accès aux moins de 21 ans, ou encore la possibilité aux joueurs de se faire interdire l’entrée.

Etienne Marique : Il faut dire que dans les organisations clandestines, il y a une violence qui est certaine, des règlements de comptes. Le jeu n’est pas stable, il change en fonction des circonstances et de la tête du client, on fait gagner un joueur et puis après, on le plume. Il y a des coups de feu qui sont tirés, il y a eu des blessés, il y a des rackets qui sont organisés. Tout cela est contraire à la sécurité, même si les gens qui s’y rendent savent quels risques ils prennent lorsqu’ils se rendent dans ce genre de parties. Cela donne un frisson, oui, mais un frisson que l’on ne peut pas encourager ! Nous ne voulons pas être les porte-parole des casinos, la question n’est pas là, mais nous préférons un joueur qui est connu, qui est réglo et qui joue en milieu sécurisé. Même si, parfois, les milieux sécurisés ne le sont pas, on a déjà pu voir, notamment l’an dernier à Namur, des croupiers se mettre d’accord.

BP : Vous parlez des parties privées. Elles ne sont pas toutes telles que vous les décrivez. Comment pouvez-vous faire la distinction entre ce qui se passe bien et ce qui ne se passe pas bien ? Faut-il tout interdire ?

CW : A entendre vos questions, je vois un peu dans quel sens vous voulez aller. Vous vous faites le défenseur de ce que moi j’appelle le ventre mou du poker. C'est-à-dire des gens qui ne veulent pas aller au casino parce qu’ils n’en ont pas les moyens, parce que leurs moyens sont limités, ou parce qu’ils ne veulent pas être tentés par les autres jeux, roulette ou black jack.

BP : Non, pas du tout, notre communauté regroupe avant tout des passionnés, mais qui présentent tous des profils et des moyens différents.

CW : Oui, mais je pense que nous allons à la rencontre de ce milieu-là ! Au Salon de Gembloux, ou quand il y a d’autres événements. Les gens nous ont dit qu’il aurait été préférable que nous installions un stand à Gembloux, mais allez, les gens me connaissent, en tous cas dans la partie francophone, et savent très bien que je suis très abordable. Par ailleurs, je pense que la Commission a su s’adapter et fait bien la distinction entre ce qui est dangereux socialement, et ce qui ne l’est pas. Entre les gens qui aiment le poker en temps que jeu (je ne dis pas sport, car on pourrait en discuter pendant des heures, mais aux yeux de la loi, c’est un jeu de hasard et c’est comme ça. Même si, je vous le concède, il y a des joueurs meilleurs que d’autres, et celui qui connait le jeu va gagner beaucoup plus souvent que quelqu’un qui ne le connait pas, même s’il est toujours tributaire des cartes qu’il reçoit) et les autres. On voit d’un bon œil, ou en tous cas pas d’un mauvais œil, tous ces clubs, qui présente un esprit convivial et familial. On va voir, on contrôle, etc. La seule chose que nous n’acceptons pas, et ça, c’est le problème de ces clubs, c’est qu’il y a souvent une dérive. C’est-à-dire qu’actuellement, la loi dit bien que lorsqu’on ne paye rien, que l’on participe juste aux frais, la partie peut se dérouler. Et ces frais ne peuvent excéder un faible montant, nous acceptons une dizaine d’euros, ce qui représente une soirée au cinéma, ou quelque chose de vraiment anecdotique. Au dessus, nous n’acceptons pas. Comme nous n’acceptons pas les rebuy, ni les addon. Et alors, ce qui nous horripile, c’est le cash game.
Et le problème, c’est que, dans ces parties, certains organisateurs, intéressés par les rentrées d’argent, font intervenir toutes ces notions que nous n’acceptons pas. Quand j’entends que dans certaines parties, les organisateurs laissent les sortants s’asseoir sur les tables à côté et jouer en cash game, nous intervenons dans la mesure des possibilités.

EM : Sinon, nous, nous sommes neutres, hein, on gère juste le poker.

CW : Nous sommes conscients qu’il y a une grosse demande. Et nous avons réagi par rapport à cette demande, convenablement. C'est-à-dire que nous ne poussons pas les gens vers l’illégalité. La loi et la Commission offre des possibilités aux gens qui veulent jouer et c’est soit le casino, soit le jeu pour des petits lots. Et quand je vois les prix qui sont donnés, comme des télés, des appareils photo…

EM : Au niveau du jeu live, et des parties à faibles mises, il y a un projet d’arrêté royal qui a été discuté à la Commission au mois d’avril. Il n’est pas finalisé, mais dans le courant du mois de mai, un projet sera transmis aux instances du gouvernement. Nous ne pouvons pas encore en dévoiler le contenu car il peut être amené à changer.

BP : Venons-en au jeu en ligne.

EM : Dès la création de la Commission, en l’an 2000, nous avons vu qu’il y avait un problème de jeu sur internet, énorme et visible pour une grande partie de la population, mais pas pour ceux qui décidaient. Nous avons donc fait des propositions pour encadrer ça. Il a fallu quatre années pour que Laurette Onkelinx mette le projet à l’agenda politique, mais il n’a pas été suivi. Et nous voici maintenant avec un projet inspiré du précédent, et qui règle la question des jeux de hasard en ligne. Le but, c’est que les jeux virtuels collent au jeu réel, que ce soient les mêmes mesures de protection, les mêmes encadrements de joueurs, les mêmes pertes horaires, et que les opérateurs soient les mêmes.

BP : Quel est le calendrier prévu ?

EM : Tout doit être en vigueur pour le 1er janvier 2011.

BP : Concrètement, comment allez-vous interdire aux opérateurs illégaux, donc ceux qui ne disposeront pas de licence physique, d’opérer en Belgique ?

EM : Il y aura une liste blanche et une liste noire, disponible sur notre site. Ensuite, il y aura un blocage des adresses IP, et les blocages bancaires. Les banques sont d’accord de ne permettre des opérations qu’avec des sites autorisés. Les sites non-autorisés ne pourront évidemment pas faire de publicité, contrairement à ceux qui seront en règle. Il faudra évidemment que nous mettions en place l’aspect transfrontalier. Par exemple, en ce qui concerne la France, nous savons que certains gros opérateurs comme Betclic ou Bwin ont des accords avec des chaînes de télévisions et autres, et leur publicité sera émise en Belgique, puisque les médias français diffusent chez nous. La prochaine présidence belge de l’Union Européenne, en juillet, devra harmoniser le volet publicité.

BP : Pour un joueur belge, qui joue actuellement sur des sites comme Full Tilt ou PokerStars, concrètement, que va-t-il se passer lorsque la loi sera d’application ?

EM : Actuellement, un joueur n’est pas poursuivi, et il n’a pas de possibilité de se plaindre s’il a été roulé dans la farine. Dans l’hypothèse de la mise en vigueur de la loi, le joueur pourra alors être poursuivi. Il pourra, je n’ai pas dit qu’il le sera. Ce seront des sanctions classiques, des amendes.

BP : En ce qui concerne le marché tel qu’il se profilera en 2011, est-il envisageable que des opérateurs actuellement illégaux passent des alliances avec des possesseurs de licences physiques ? Pourrait-on voir un jour, je ne sais pas, une plate-forme proposée conjointement par le Casino de Namur et PokerStars, par exemple ?

EM : Et bien, vous êtes bien informé…Vous me posez une question, et vous ne cherchez en fait qu’une confirmation ! Mais oui, globalement, les opérateurs de jeu pourraient mettre leur outil à disposition, et conclure des partenariats, à condition qu’un certain nombre de normes soient respectées : la fiabilité, la régularité, la sincérité du jeu. Si un actionnaire se trouve aux Bahamas, il n’y aura pas de licence pour ces gens-là. Ils devront être situés en Europe.

BP : L’Ile de Man, Malte ?

EM : C’est situé en Europe. Ca n’a pas vraiment notre préférence, mais il y aura un screening de la sincérité du jeu. Comment pourrons-nous la vérifier ? Il faudra que, de toutes façons, le serveur soit situé en Belgique. Pour que nous puissions à tout instant aller voir si c’est conforme. Un serveur à Malte, ça, ça ne nous convient pas, nous n’allons pas déléguer Monsieur Widar ou quelqu’un d’autre à La Valette, il n’en rêve pas (rires). Et de toutes façons, nous n’aurions pas les compétences pour saisir ou interroger à Malte, ce n’est pas possible. C’est pour cela que nous disons : les serveurs doivent être accessibles 24 heures sur 24, pour que nous puissions vérifier la régularité du jeu, et bloquer le cas échéant.

BP : Cela sous-entend donc une question : les serveurs se trouvant en Belgique, va-t-on assister à un cloisonnement des joueurs belges ?

EM : C’est une question à laquelle nous n’avons pas encore de réponse définitive. C’est en réflexion. Nous n’envisageons d’autoriser les américains à jouer sur nos sites, par exemple. Quoique…le but n’est pas de distribué nos sites dans tous les pays, mais il n’est pas exclu d’imaginer qu’un Italien ou un Hollandais viennent jouer avec les Belges. De prime abord, donc, nous ne sommes pas vraiment opposés à un jeu international, mais il faudrait pouvoir le concevoir, et il existe des nœuds juridiques et fiscaux (et pas tellement techniques) : il faut que l’on parle de la même chose et que la conception du jeu soit la même. Par exemple, en France, la loi dit qu’un jeu est dit de hasard quand celui-ci est prédominant. Notre conception à nous, c’est de dire que dès qu’il y a un fifrelin de hasard dans le jeu, tout le jeu est un jeu de hasard.

BP : D’accord, mais alors, nous allons assister à un cloisonnement de fait…reprenons l’exemple de PokerStars et du Casino de Namur : la plate-forme sera tout à fait indépendante de la plate-forme internationale de PokerStars.

EM : Pas nécessairement, parce qu’il pourrait y avoir un renvoi des joueurs belges et des joueurs autorisés à jouer en Belgique vers la plate-forme PokerStars générale. Mais nous voulons vérifier l’âge de nos joueurs, et leur statut. Pas question qu’un mineur ou un interdit de jeu puisse jouer de cette façon-là. C’est donc plutôt une discussion technique.

BP : Oui…mais qui est une discussion importante pour les gens qui jouent, parce qu’ils ne savent pas à quoi s’en tenir pour le moment.

EM : Je ne sais pas vous répondre, parce que nous n’avons définitivement tranché au niveau technique. Mais il n’y a pas une horreur en disant : « mon Dieu, on ne peut pas faire ça », non, il y a une réflexion.

BP : Une taxation est-elle prévue ?

EM : Oui oui, il y a une taxation qui est prévue.

BP : Et qui serait opérée comment ?

EM : Ecoutez, nous ne faisons pas de lobbyisme pour les taxations. Ce sont les autorités concernées qui devront faire un choix fiscal, ce n’est pas notre rôle. En tous cas, cette taxation sera favorable et positive, pour encourager le jeu…enfin, pour ne pas décourager le jeu, plutôt. Une taxation qui permette le jeu. Et les gains de jeu ne seront toujours pas imposés, ça n’a jamais été envisagé.

BP : Ma question n’était pas innocente. Ma réflexion est la suivante : comment pourrait-on assister à un renvoi des joueurs belges vers la plate-forme internationale de PokerStars, par exemple, si la taxation en vigueur en Belgique est différente ?

EM : Je ne pense pas que l’administration fiscale a réfléchi jusque là (rires). Mais je ne pense pas qu’ils aient toutes les cartes en main pour pouvoir répondre à ça. Nos propositions sont de nature à faire évoluer le débat, mais pour le moment, nous n’avons pas encore tranché en ce qui concerne le cloisonnement.

BP : D’accord, mais tous ces « détails », quand vont-ils être réglés ?

EM : Dans les prochaines semaines.

BP : Entretenez-vous des contacts avec les opérateurs en ligne ?

EM : Nous n’aimons pas ça. Dans certains colloques, j’ai demandé que l’on ne donne pas la parole à certains opérateurs illégaux, ce qui jette un froid (rires). Alors, nous avons procédé de la manière suivante : nous avons établi un questionnaire que nous avons distribué aux opérateurs légaux (les casinos, les salles de jeux et les agences de paris, donc). Libre à eux de se renseigner et de répondre en concertation avec leur futur partenaire. Nous allons soumettre ces réponses à une réunion de travail, et nous verrons bien si des questions pertinentes en ressortent.
Mais il faut aussi tenir compte des orientations politiques, je ne vais pas commencer à entrer en contact avec des opérateurs si le monde politique n’y est pas favorable.

BP : Mais eux-mêmes ne vous contacte pas, afin de se renseigner ?

EM : Heu, non. Je ne saurais de toutes façons pas leur répondre, si ce n’est ce que je vous raconte ici. Mais Bwin, par exemple, sait que s’il veut devenir opérateur ici, il doit avoir des contacts avec des casinos ou avec des salles de jeu.

BP : Est-ce qu’un opérateur comme Bwin, ou autre, pourrait obtenir une licence physique ?

EM : Il pourrait demander une licence de fournisseur de jeu pour un casino, et il y a manifestement des casinos qui n’ont pas de contacts avec des fournisseurs de jeu. Mais obtenir une licence directement, non. Nous voulons avoir tout sous la main, et pas qu’ils soient basés à Gibraltar ou à Malte. Nous ne faisons pas confiance à ce qui est proposé par ces opérateurs, leur jeu étant démontré comme n’étant pas systématiquement sincère. Je n’ai pas dit qu’il n’y en avait pas de meilleure qualité que d’autres, mais en ce qui concerne l’âge des joueurs et le contrôle de leur identité, tout cela, c’est du vent ! Franchement, c’est du vent.

BP : Au niveau des formats de jeu qui pourraient être proposés par les futurs opérateurs en ligne, qu’est ce qui serait permis ? Tournois, cash game, sit’n’go ? Des restrictions sont-elles à prévoir ?

EM : Tout ce qui autorisé dans les jeux légaux. En ce qui concerne le poker, une perte-horaire est fixée, par rapport au joueur. Cela signifie que l’on ne pourra pas perdre plus de…heu, je pense que c’est 200, ou 140 euros, non le double, 280 euros, et ce, sur une période de deux heures.

BP : …cela sous-entend qu’il y aurait des restrictions de mises, alors ?

EM : Ecoutez, si on perd déjà 280 euros sur deux heures de temps…le jeu s’arrête, c’est tout ! C’est perdu.

BP : Oui, mais 280 euros…ça ne représente pas la même chose pour tous les joueurs. Cela veut dire qu’il y aurait alors des restrictions quant aux mises jouées ? 

EM : A mon avis, oui, il y aura des restrictions. Mais c’est encore à l’état de réflexion. L’orientation, c’est de protéger le joueur par rapport à lui-même. L’approche, c’est de à la place du joueur, pas du casinotier.

Mes interlocuteurs n’ayant, c’est flagrant, aucune réelle connaissance de la façon dont un joueur sérieux procède, je place ici une tentative d’explication du principe de bankroll, et de sa gestion. J’ajoute que les joueurs sont tous différents, et que les limites jouées le sont également, forcément. Grand moment de solitude. Au vu des regards qui me sont lancés, je me doute que mon discours n’est vraiment pas familier dans cet endroit. Je termine quand même en précisant que, lorsque les principes de gestion de bankroll sont respectés, les joueurs mettent en jeu des sommes très différentes, mais qui représentent la même prise de risque par rapport à leurs moyens. Un coup dans l’eau, visiblement…

EM : Je vous suis parfaitement, mais disons qu’ici, ce sera plus encadré que ça, hein. Les paramètres seront préfixés.

CW : Mais, quel est le profil des membres de votre communauté. Vos joueurs sont prêts à jouer combien ?

BP : C’est variable, évidemment.

CW : En moyenne ?

BP : Impossible à dire.

CW : Oui, mais vous, vous jouez en casino, vous jouez en cash ? Cela demande quand même de gros moyens. La plupart des joueurs que je croise dans les petits tournois, ils ne vont pas en cash, c’est trop dangereux pour eux.

BP : Ok, mais les communautés de joueurs présentent des profils très variés, certains ont les moyens, d’autres moins. Ce qui regroupe les gens, c’est la passion, l’envie de progresser. Et ce qui fait peur, c’est justement de se retrouver confronté à un cloisonnement, et de ne plus pouvoir jouer de la même façon, ni de pouvoir progresser. L’intérêt du jeu online, c’est notamment son côté universel, qui permet de se confronter à des joueurs aux profils variés. C’est comme si, en tant que joueur de foot, on vous obligeait à ne jouer que dans votre quartier.

CW : Oui, mais vous savez, en football, vous partez de votre quartier et puis vous allez dans les petits clubs. En poker aussi, vous allez dans les tournois gratuits du genre Salon du Poker de Gembloux, et puis vous allez au casino, et puis, comme vous êtes un très bon joueur, vous allez sur le circuit international, ou à Las Vegas. Il y a tout à fait moyen de progresser. Je pense qu’en Belgique, la grande avancée de la nouvelle loi, c’est la protection du joueur, malgré lui parfois. Le but, c’est de dire : vos mises sont trop importantes, alors, on va réguler vos mises, et réguler vos gains.

BP : Vous parlez de la progression, mais l’avantage actuel du jeu en ligne, c’est qu’il propose des parties aux mises très faibles et donc une progression plus facile. Il y a un gap très important entre les mises en ligne et les mises en casino, pour le moment. On peut jouer en ligne pour 5 dollars, tandis qu’au casino, c’est impossible…

CW : 5 euros, c’est limité, mais 10 euros, il y a des tournois à 10 euros au casino.

BP : Ils sont très très très rares…

CW : Oui, mais pourquoi ? Parce que ce n’est pas rentable au niveau du casino, mais il y en a. Et puis les tournois à 10 euros, vous les trouvez à l’extérieur, donc il n’y a pas de problème !

BP : Le risque, est-ce que ça n’est pas justement celui-là ? Que les futurs opérateurs en ligne, qui seront donc aussi les opérateurs physiques, fixent les limites de jeu en fonction de ce que l’on trouve pour le moment en casino, et donc des limites très supérieures à celles accessibles en ligne actuellement ?

CW : Je ne suis pas dans le secret des dieux, je ne sais pas ce qui va être permis ou pas permis. Mais je pense que si les casinos font ça, ils n’auront pas de succès, vous le savez très bien. Pourquoi est-ce que les sites internet proposent du gratuit ? C’est pour appâter le client. Le Casino de Namur va devoir aussi satisfaire la plus grosse partie des joueurs, et cela se fera à moindre prix puisqu’il n’y aura pas besoin de croupiers.
D’ailleurs, à notre demande, le Casino de Namur avait essayé de faire des tables de cash game plus démocratiques. Ils ont essayé 50 cents/50 cents, et 50cents/1 euro. Bon, ça n’a pas perduré, mais je suis certain que ça pourrait avoir du succès. En ligne, donc, ça devrait marcher.

EM : La piste qui pourrait être empruntée, mais ce n’est pas sûr, c’est de faire un essai, de voir ce qu’il en est.

BP : Y-aura-t-il une remise à zéro des comptes ? Les comptes des joueurs belges devront-ils être fermés et recréés ?

EM : Non, il n’y a pas cette volonté là, comme c’est le cas en France.

BP : Le poker peut-il espérer acquérir, un jour, un statut à part, par rapport aux autres jeux dit de hasard ?

EM : Non. Dans les dix prochaines années, non.

BP : Pourquoi ?

EM : Pour des raisons de cohérence. Nous visons une cohérence totale, qui sera atteinte quand, par exemple, les jeux proposés par la Loterie Nationale suivront des règles de contrôle comme celles qui sont applicables aux autres jeux. Evidemment, cela dépend aussi du gouvernement en place.

BP : Est-ce que les communautés de joueurs ont les moyens de se faire entendre, de donner leur avis, et de dire : la direction que l’on prend actuellement ne nous semble pas être la bonne ?

EM : Si vous vous adressez à un politique, non, les joueurs sont considérés comme les lépreux des temps modernes, on se dit « Horreur ! Quel perverti ! ». Ici, vous pouvez avoir un interlocuteur, il n’y a pas tellement d’endroits où c’est le cas.
Mais est-ce qu’il y a tant de gens que ça qui jouent au poker ? Oui ? Alors faites une pétition. Si vous avez 500 000 signatures et que vous l’envoyez à la Commission Européenne, et à Leterme.

CW : Et comme ça, on aura les noms… (rires) !

Une note d’humour pour terminer cette interview, mais bien malvenue. L’entretien me laisse un goût amer, plus encore après l’avoir réécouté pour le coucher sur papier. J’avais initialement pensé faire des commentaires à propos de ce que j’ai entendu, et de ce que vous avez pu lire, mais finalement, je n’en vois guère l’intérêt. Les propos d’Etienne Marique et de Christophe Widar parlent d’eux-mêmes.
Comment ne pas être choqué à la lecture de tant d’approximations, de lieux communs et d’idées rétrogrades et absurdes ? Comment ne pas se sentir passablement énervé et révolté de savoir entre quelles mains se trouve notre (possible) avenir ?
Et surtout, comment comprendre leur façon de travailler ? Actuellement, donc, un cadre légal a été adopté, et il doit entrer en vigueur dès janvier prochain, mais personne ne semble savoir comment on va le remplir ! Bref, le travail a été mené à l'envers.
Heureusement, rien n’est perdu. D’une part, les applications pratiques de cette loi sont encore à définir, et les idées émises me semblent particulièrement difficiles à mettre en place efficacement. Je ne crois pas au blocage des sites, ni aux sanctions à l’encontre des joueurs. La France n’en a pas les moyens, comment notre pauvre petit pays pourrait-il faire ?
Par ailleurs, des recours sont possibles, et l’Europe devrait pointer son nez dans ce dossier, qui va à l’encontre de ses principes fondateurs.
Et puis, bénie soit la crise actuelle…sans gouvernement (et peut-être sans Belgique), pas de loi. Il se pourrait finalement que la situation belge soit en fait tout profit pour les joueurs que nous sommes.